Pas de pitié, mais de l'efficacité

La situation des grévistes de la faim de l'église du Béguinage, de la VUB et de l'ULB, devient catastrophique. La polarisation s'accentue. La marge de manœuvre se réduit. Le succès d'une politique migratoire belge humaine se trouve en Europe, mais une solution rapide et humaine à cette crise humanitaire est entre nos mains. 

Le fait que Mahdi (secrétaire d’État à l’Asile et la Migration) veuille prévoir une zone neutre pour l'examen des dossiers au cas par cas est un premier pas prudent. Mais il n’est pas encore question de critères généralistes pour permettre la résidence sur le sol belge. Je trouve cela difficile à comprendre. Juger au cas par cas, sans critères connus porte chez nous un autre nom : travailler à la tête du client. Mais la décision d'accorder un permis de séjour n'est-elle pas prise sur la base de certains critères objectifs ? Une méthode existe-t-elle ? Pourquoi ne pas simplement fixer des critères pour tous ? 

Si l'on remonte à la genèse de la grève, c'était d’ailleurs la revendication initiale la plus importante. Avant que tout ne déraille, les grévistes ne demandaient pas une régularisation collective, mais une politique de régularisation efficace basée sur des critères transparents, ainsi qu’une procédure rapide et efficace. Une action gouvernementale efficace, à l'égard des 150 000 sans-papiers en Belgique, qui ont droit à une existence digne.

J'ai dans mon entourage immédiat de nombreuses personnes qui ne séjournent pas de manière légale sur le territoire. Ils vivent pourtant ici depuis des années. Ils sont mes voisins, des membres de l'association dans laquelle je suis active, leurs enfants partagent les mêmes bancs d'école que les miens. Et surtout, ils travaillent. Que ce soit sur les chantiers de construction de nos stations de métro, dans nos buildings de bureaux, dans les maisons de retraite, en cueillant des fruits, comme jeunes filles au pair, dans les cafés ou les restaurants. Ils n’ont pas de protection sociale. Ils accumulent les longues journées de travail à 3 ou 4 euros de l'heure dans des conditions de travail dangereuses, de nombreuses femmes sont victimes de violences sexuelles de la part de leurs employeurs. Ce sont les esclaves de notre temps. L'ont-ils cherché eux-mêmes ? Non. C'est justement l'inverse. Nous avons laissé faire. Nous comptons sur eux.

Les employeurs des professions en pénurie dans les secteurs de la construction, de la cueille de fruits et des soins de santé sont demandeurs de cette main d’oeuvre. Tout est mis en oeuvre pour les faire venir de l’étranger. Il s'agit d'un autre courant de migration, celui de la main-d'œuvre. Alors que nous en avons à disposition chez nous, avec du talent. Prêt à travailler dur.

Le coronavirus a rendu la vie encore plus difficile aux personnes sans résidence légale. Mais ils restent ici. Parce qu'ils y ont construit une vie. Retourner dans leur pays d’origine ne constitue pas toujours une option pour eux.

Ceux qui accusent ces grévistes de la faim et de la soif de chantage ont mal compris. C'est un appel au secours, une goutte d'eau de plus dans un vase qui déborde, un acte de désespoir. Il est urgent de remédier à la situation désespérée de 150 000 sans-papiers. 

Des critères de régularisation clairs, humains et durables nous aideront à rattraper le retard pris dans les procédures et à réparer l'injustice commise. Et tout ce processus doit être contrôlé par une commission indépendante. La régularisation ne devrait pas être une faveur décidée par un secrétaire d'État. Il devrait également être possible de demander un permis de travail depuis la Belgique et pas d’avoir à retourner dans son pays d'origine pour le faire. En agissant ainsi, nous imposons des exigences impossibles à satisfaire à ceux qui sont déjà ici. Un permis de travail unique, délivré aux personnes travaillant dans une profession à risque, pourrait également offrir une porte de sortie à de nombreuses personnes sans résidence légale. Ce serait aussi une opportunité pour nombre d’employeurs à la recherche de main d’oeuvre. De plus, il faut rendre accessible le dépôt d'un dossier de régularisation, car aujourd'hui son coût est de 363 euros. C'est trop pour ceux qui travaillent pour un salaire de misère. Il serait aussi bon de s'attaquer aux exploiteurs et aux propriétaires qui abusent de la situation de ces personnes en détresse. 

Mais surtout, faites quelque chose maintenant et immédiatement pour trouver une solution humanitaire pour les personnes en grève de la faim et de la soif. Avant qu'il y ait des morts. Nous pourrions proposer une régularisation temporaire de six mois, six mois durant lesquels leur cas serait étudié et pourrait dans le meilleur des cas amener vers une régularisation permanente. 

Après avoir trouvé une solution humaine pour les grévistes de la faim et de la soif, nous devons réviser au plus vite la loi sur la migration de 1980, qui est dépassée, afin d'établir des critères clairs et de mettre en place une commission indépendante qui décide des régularisations. En tant que pays riche et développé, la Belgique a le devoir de trouver une solution pour les personnes sans résidence légale. C'est une question gouvernance efficace, de droits de l’Homme et de réalisme, et certainement pas une question de pitié.